De l’art de faire évaluer ses oeuvres

Rentrée 2008, maniant leur signature comme un logo, des artistes comme Jeff Koons et Damien Hirst jonglent avec les flux financiers et mettent à profit la santé du marché de l’art. Martin Le Chevallier est l’antihéros de ce mouvement. Sa réputation est confidentielle, son marché restreint, son œuvre rare et peu spectaculaire. Et pourtant il n’a qu’un rêve : leur ressembler.
Fort de cette ambition, désireux d’évaluer la pertinence de son travail en regard des engouements du marché, il a demandé à des consultants d’établir un audit de ses performances artistiques.
Le résultat est tristement délicieux. Délivré sous la forme d’une lecture enregistrée, le rapport propose à l’artiste l’évaluation de ses compétences et la définition d’une stratégie pour se sortir de cette mouise dans laquelle il patauge. Les consultants caractérisent d’abord l’ambition du quadragénaire, jusqu’à présent réputé seulement pour avoir mis en ironiques images le programme de Nicolas Sarkozy : être porteur d’une vision, s’investir dans des projets phares, s’insérer dans le réseau sans trahir sa foi artistique.

«Forces et faiblesses»

En réponse, ses conseillers lui proposent de «valoriser ses pôles d’excellence, de privilégier la recherche-développement en externalisant tout ce qui peut l’être» (travail manuel et administratif). Mais aussi de «pratiquer une politique tarifaire audacieuse et pragmatique», afin «d’être identifié comme un placement porteur». Surtout, il s’agit de «définir une stratégie de marque» permettant aux institutionnels et aux collectionneurs d’identifier son oeuvre.
Sont par ailleurs analysées ses «forces et faiblesses». Bon point : développer un travail pertinent dont le propos est de questionner le monde de l’art contemporain : «Les investisseurs raffolent de qui sait les titiller là où il faut.» Mauvais point : un sexe et une nationalité peu porteurs ; une incapacité à s’adapter au marché ; une tendance à s’endormir dans le confort des subventions publiques.

Fort de cette évaluation, l’artiste n’a plus qu’à imaginer un «repositionnement défensif». Martin Le Chevallier a aujourd’hui toutes les recettes pour aller vers le succès.

Emmanuelle Lequeux
dans «Le Monde», 26 septembre 2008

 

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